Centième anniversaire de la disparition de Gustave Eiffel

Cet anniversaire va apporter nombre de commémorations sur la vie et l’oeuvre du réalisateur de la Tour.

En cette occasion, la SHLP préfère se pencher sur un aspect moins connu de ses activités : qui étaient les ouvriers qui ont travaillé pour Gustave Eiffel et quelles étaient leurs conditions de travail, tant dans les ateliers de Levallois-Perret que sur les chantiers de l’entreprise.

Nous avons trouvé dans le journal « L ‘Aurore » du 28 février 1951, un reportage sur le dernier ouvrier ayant participé à la construction de la Tour, Monsieur Toussaint Marceau âgé à l’époque de 86 ans. Voici donc la retranscription de ce reportage :

« Mr Toussaint Marceau n’est pas de ceux dont on peut dire : »Ah ! l’alerte vieillard ! » D’abord parce qu’il marche péniblement depuis une blessure à la jambe gauche attrapée sur un chantier, ensuite parce que son teint coloré, son visage ferme et plein d’homme de grand air, ses yeux bleu vif, lui donnent un air de jeunesse relative, vingt ou vingt cinq ans de moins que son âge : Mr Toussaint Marceau a 86 ans bien sonnés et il ressemble étonnamment à un Clémenceau sexagénaire qui aurait fait « rafraichir » ses sourcils et ses moustaches.

Marceau ! ….comme le Général précise notre interlocuteur(….) . Oui, je suis peut être bien le dernier forgeron de la Tour Eiffel, encore qu’on m’ait dit dernièrement qu’il y avait  un autre « compagnon » à Thiers  du côté de Clermont-Ferrand, un gars de mon âge et qui tient bon lui aussi.
L’an dernier, il en demeurait un troisième : le charpentier Auguste Marseille, un robuste nonagénaire qui travaillait avec Gustave Eiffel depuis 1886, le doyen d’âge de Toussaint Marceau mais son cadet d’embauche de quatre ans.
Je suis né dans la Nièvre, conte Mr Marceau, à Villapourçon en 1865. J’ai débuté dans le métier en 1882 chez Mr Eiffel, il venait de terminer le viaduc de Garabit… Je n’avais jamais tâté du fer auparavant, mes parents étaient cultivateurs. Le seul évènement de ma jeunesse campagnarde avant mon départ pour la capitale, c’était la guerre de 1870...les prussiens étaient venus jusqu’à Autun... Heureusement, Garibaldi était là pour les arrêter. Bref ! Je suis arrivé à Paris à 17 ans.

Je logeais rue Fouquet 1à Levallois chez un restaurateur hôtelier . Ma chambre me coûtait 12 francs par mois, le litre de rouge valait 8 sous, on payait le repas entre 15 et 30 sous.
On faisait 12 heures par jour de 6 heures à midi et de 1 heure à 7 heures, à 6 sous de l’heure. Puis j’ai été augmenté et quand j’ai été mis sur la Tour, j’ai gagné jusqu’à 10 sous de l’heure plus une prime à la tonne instituée par Mr Eiffel pour nous pousser à aller vite… J’arrivais à des mois de 250 à 300 francs. Avec ça, je vous assure qu’on vivait autrement mieux que maintenant...Mr Eiffel, voyez-vous, c’était un homme pas très causant mais qui payait convenablement ses ouvriers, aussi, nous en mettions tous un coup. (……)

Pendant que les terrassiers creusaient, que les maçons maçonnaient, on ne perdait pas une minute à Levallois. 
Non, vous pouvez le dire, pas une minute, affirme avec force Toussaint Marceau, et il fallait se débrouiller avec un outillage pas très perfectionné. On amenait les pièces avec un treuil à main, elles étaient  percées d’avance, vous voyez ça, des milliers et des milliers de trous à faire coller et qu’on présentait cran par cran. Le chauffeur sortait le boulon du feu, l’enfilait dans le trou, on tirait la manette et les deux pinces de la mâchoire de la machine serraient.
Ah ! Si nous avions eu le pistolet riveteur ! Ça aurait marché tellement plus vite et plus facilement . Mais on le vit pour la première fois à l’Exposition de 1900.
On manipulait ainsi des pièces de 3 à 5 tonnes sur les bennes. On posait jusqu’à mille rivets à l’heure, ce n’était pas trop mal. Tous les matins, le fardier, avec ses 5 ou 6 percherons arrivait, chargeait et hue cocotte ! En route vers le Champ de Mars !
J’y allais souvent, presque tous les jours, pour voir si ça collait toujours bien ...et donner un coup de main . On était hantés par la peur de rater quelque chose...le moindre détail qui aurait tout flanqué par terre… pensez que tout était monté à l’usine...15 000 pièces d’après 4 à 5000 feuilles de dessin !

Le 18 juillet 1887, les arbalétriers ouest, c’est à dire les pieds de fer des piliers, étaient montés, le 7 décembre, les arbalétriers est. Le 14 janvier, une ceinture de fer les réunissait et le 26 mars 1888, le 1er étage était prêt. Il y avait par pilier 4 équipes de 18 hommes qui montaient les pièces au treuil à main et deux charpentiers en bois travaillaient sans arrêt à préparer les échafaudages du dessus...toujours plus haut. On réussit tout de même à installer une petite machine à vapeur pour aider les hommes.
Les 26 mars 1888, Mr Eiffel nous réunit et nous remercia : Mes amis, nous dit-il, la partie est gagnée ; La Tour c’est ça : la base et le premier étage. Oui, vous avez gagné ! Le reste va monter tout seul !
Nous étions contents bien sûr mais pas tellement certains que « le reste » comme disait Mr Eiffel, marcherait si facilement. Et pourtant, il  avait raison. Le 26 décembre 1888, on était au deuxième étage, le 2 février 1889 au troisième et la Tour était terminée le 31 mars.

 


 

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