Il y a un siècle, la première « Radio Pirate» française
Il y a cent ans, la radiodiffusion, appelée alors TSF n’en était alors qu’à ses débuts. Les auditeurs parisiens n’avaient le choix qu’entre deux stations, le Poste National des PTT émettant depuis la Tour Eiffel et le poste privé « Radiola » propriété de la Société Française Radio-Electrique émettant depuis ses laboratoires de la rue Greffulhe à Levallois-Perret.
Au mois de février 1923, les auditeurs de Paris et de la proche banlieue sont dérangés dans l’écoute de leurs émissions radiophoniques quotidiennes par d’étranges manifestations sonores d’origine inconnue, qui brouillent les ondes.
Ces manifestations couvrent parfois les programmes de la « Tour Eiffel » et de « Radiola » en diffusant des bruits, des imitations de cris d’animaux, des airs chantés en direct ou des disques. Elles ne donnent pas d’indicatif. La presse qui découvre cette histoire à la mi-mars le nomme donc le poste zéro comme on appelait les stations d’écoute des conversations ennemies pendant la Grande Guerre.
Qu’elle est cette mystérieuse station ? « Il ne s’agit pas, nous dit-on, des essais d’ondes très courtes, ne dépassant pas dix mètres, auxquels se livre en ce moment M. Mesny avec sa camionnette émettrice », écrit L’Œuvre sous la plume du journaliste Emmanuel Bourcier. « Il ne s’agit pas non plus des essais harmoniques du laboratoire militaire d’Issy-les-Moulineaux, qui travaille pour les PTT avec des ondes de 700 mètres et qui a YA pour indicatif. Il faut écarter les petites émissions privées des postes d’amateurs émettant des ondes de 200 mètres sous l’indicatif 8. Tous les postes officiels français ont pour indicatif F : la Tour Eiffel, FL ; Brest, F4 ; Cherbourg, F2, etc. Or le poste en question n’a pas d’indicatif. Il est anonyme !
Mais les émissions de ce pirate sont très curieuses. Ainsi, le lundi 19 mars 1923, « tandis que la Tour Eiffel annonçait en français son programme musical du lendemain, le Poste zéro, émettant sur la même longueur d’ondes, soit environ 2.000 mètres, traduisit à mesure, en anglais, les paroles du sapeur radio-télégraphiste, témoigne le journal L’Œuvre. Avant-hier, mardi, ce mystérieux farceur changea ses heures d’émission. Il commença sa plaisanterie à 5 h 12, parla pendant vingt minutes à peu près, joua du piano pendant cinq minutes, puis fit une joyeuse conférence sur la navigation et termina par la récitation d’une fable, le tout sur 2000 mètres de longueur d’ondes. Son intensité était presque deux fois aussi forte que celle de la Tour Eiffel, et le son était aussi pur que lorsque les PTT émettent. Ensuite, quand le poste Radiola donna son concert, le poste zéro employa une longueur d’ondes très voisine des 1756 mètres de cette dernière station, et n’acheva son brouillage que deux minutes seulement après que le poste de Levallois eut terminé. »
Comme le rapporte le journal L’Œuvre, face à cette situation extraordinaire, qu’il s’agisse de plaisantins ou de véritables saboteurs de programmes radiodiffusés, la Direction de la Télégraphie sans fil est catégorique :
« Aucune déclaration de poste en essai n’ayant été déposée, les opérateurs du poste mystérieux sont en contravention formelle avec la loi du 27 décembre 1851(*)
Par conséquent, ils s’exposent à des poursuites engagées par l’État, tout comme certains de leurs imitateurs. »
Dès le mois de mars, la presse s’empare de cette curieuse affaire et L’Œuvre encore, sous la plume du journaliste Emmanuel Bourcier, se lance dans une véritable enquête afin de découvrir qui se cache derrière cette station mystère.
C’est ainsi que pendant plusieurs semaines, le journal consacre des chroniques quotidiennes à ce que l’on nomme désormais le « poste zéro ».
Ainsi, le 20 mars 1923, L’Œuvre annonce que, dans tout Paris et jusqu’en province, des professionnels de la radiodiffusion et des amateurs intrigués s’étaient mobilisés et attendaient, l’oreille rivée sur leur poste, une nouvelle intervention pirate du poste zéro sur les ondes :
« À l’heure actuelle, l’École Supérieure des P.T.T., les postes militaires de la Tour Eiffel, de Nogent, de Palaiseau et de Meudon sont alertés. De toutes parts, sapeurs, professionnels et amateurs sont à l’écoute, et, sur plusieurs points, des études goniométriques sont en cours.Dès que l’ample voix anonyme s’élèvera, brouillant une fois encore les émissions ordinaires et les radio-concerts de la Tour Eiffel et de Levallois, elle sera “repérée”. Les ondemètres mesureront sa longueur d’onde exacte, et un facile recoupement permettra, comme nous l’avons dit, de situer de façon précise sa position géographique. Le reste ne sera plus que jeu d’enfant. »“On les aura” un jour ou l’autre, les facétieux radiotéléphonistes du “poste zéro”, car cent mille auditeurs peut-être les traquent. Mais en attendant qu’ils soient repérés de façon définitive… ils continuent.
Enfin, le 25 mars, après plusieurs semaines d’investigation, L’Œuvre affirme que le « poste zéro » a été repéré et identifié grâce au travail conjoint des contrôleurs des P.T.T. et des services radiotélégraphiques et radiogoniométriques de l’armée.
Son émetteur serait situé dans l’ouest de la banlieue Parisienne, plus précisément à Levallois, au sein des locaux de la Société Française Radio Electrique (SFR), cette même société qui construit alors les postes de T.S.F. Radiola – et possède la station de radio du même nom :
« Les chefs de poste ayant donné les instructions nécessaires rédigèrent, trois fois de suite, des rapports concluant que le “poste zéro”, situé au N.-N.-O. de Paris, ne pouvait être ailleurs qu’à Levallois. Un “azimutage” très simple de l’angulation indiquée par l’orientation des cadres goniométriques démontra avec une certitude scientifique absolue que, dans Levallois, le “poste zéro” appartenait à une firme importante de radiotéléphonie qui procède, d’ailleurs, chaque jour, et plusieurs fois par jour, à des émissions publiques. »
L’enquête démontrera que le chef du Laboratoire des essais fut surpris d’apprendre que les travaux menés dans son laboratoire avaient été interprétés comme des « émissions clandestines » et surtout, qu’ils brouillaient celles de la station Radiola au service de laquelle il travaillait.
À la suite de cela, le véritable fautif sera démasqué : il s’agissait d’un honnête employé du laboratoire, un dénommé Reginald Gouraud, qui n’avait d’autre moyen pour vérifier le fonctionnement de son poste que de procéder auxdites manipulations qui provoquèrent tant d’émoi chez les auditeurs français et défrayèrent les chroniques.
Ce Reginald Gouraud était un chercheur américain, resté en France après le 1er conflit mondial durant lequel il était ambulancier et qui effectuait des recherches pour le compte de la SFR . Plus tard, il fera partie des quelques inventeurs ayant participé à la mise au point de la télévision.
(*)Loi régissant l’établissement et l’usage des lignes de télégraphe
Maison des associations 34 rue Pierre Brossolette
92300 LEVALLOIS-PERRET
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